L' exilé de Mogador Lecture de couverture


C’est la photo à Abdelkrim Khattabi ? Non, c’est la photo de l’un de ses compagnons, répondis-je. Sans doute l’habit  p...
Abdelmajid BAROUDI

C’est la photo à Abdelkrim Khattabi ? Non, c’est la photo de l’un de ses compagnons, répondis-je. Sans doute l’habit  pousse à  confondre à première vue les deux visages ; celui de l'Émir avec celui du Caïd. L’habit, est-il un symbole de différence ? Le verbe paraitre n’a pas la même signification chez tout le monde car l’assimilation n’est pas de mise. Il se trouve que la délégation conduite par Caïd Haddou Ben Hammou pour négocier la paix  avec les Français et les Espagnoles ne porte pas les mêmes vêtements que  ceux qui prétendent  déployer la civilisation et la ramener au Sud. Personne n’était et n’est  dupe. Ces négociateurs vêtus de vestes ont toujours associé la colonisation à l’exploitation. Et puis, l'habit ne fait pas le moine. Par ailleurs, l'habit exprime le Je dans sa dimension identitaire, culturelle et existentielle, comme si Caïd Haddou Ben Hammou et compagnie leurs disaient que nous sommes ce que nous sommes, assoiffés de paix et nous voulons être libres. Nous sommes chez nous, tout comme nous sommes prêts à sacrifier nos corps pour cette terre qui nous a vus  vivre et donc mourir.

La couleur du turban qui attire le regard, en plus de  l’échancrure de la djellaba qui laisse voir le blanc, assignent aux négociations menées par  Caïd   Haddou une tonalité dont la volonté est d’instaurer  un dialogue au sein d’une ambiance paisible : « J’avais moi-même lors de mes derniers jours dans le Rif entendu l’Emir affirmer constamment son désir  de ne pas engager les hostilités avec les amis français. Avec la France, il ne cherchait que la paix et le respect mutuel. » (2)

Le marron  de la djellaba qui chasse le noir revêt une signification selon laquelle, l’Etant existentiel d’une plaie causée par la nature et la culture, veut  absolument  se convertir en  devenir où la justice l’emporte sur l’humiliation. « Maintenant que nous avons vaincu et expulsé les Espagnoles de notre terre, nous devons concentrer toutes nos forces à faire de ce petit territoire  aride et montagneux, un pays libre, indépendant et respecté, mais aussi un beau et prospère pays où il fait bon vivre et en paix avec tous nos voisins, en premiers  les Français. »(3)  Que voit-on dans la couleur de la djellaba  que porte Caïd Haddou ? Une double endurance. L’une  est d'ordre géographique ou naturel, l’autre est imposée par l’engouement des forces occidentales s'inscrivant dans une stratégie qui vise à s’accaparer des richesses  de ce pays qu’est Le Maroc. Sur les djellabas   de Caïd Haddou et ses compagnons de route s’étale  tout un relief que seule la méditerranée  tolère. On dirait que le langage  s'accommode à une terre qui incite  les siens  à épouser la négation. Ces reliefs abritent l'écho d’un cri provenant du fin fond de l’endurance : Non à l'humiliation.

La canne que tient Caïd Haddou représente le prolongement de la chair dans  la terre. Le vocabulaire n’a plus de place  sur cette image pleine de sens. En regardant Caïd Haddou bouger sa canne verticalement, de haut en bas, on comprend que le message est on ne peut plus clair. Chaque coup de canne s'harmonise avec le refrain que tout le monde doit écouter : Nous sommes là et nous y restons.

Le visage comme  le décrit pertinemment  Levinas commence par la rencontre d’autrui. Cette rencontre intersubjective  s'élève au niveau de l'inter-corporéité  pour paraphraser Merleau Ponty, dont  la communication est déterminante. Du coup, Caïd Haddou est un visage  qui communique et négocie le sort de tout le Rif. Ce visage exprime  les traits d’un bon vivant n’ayant qu’un souci, c’est  de conclure un  pacte avec ses interlocuteurs visant à arracher le Rif  d’une double endurance ; économique et coloniale. Il s'ensuit que le visage  est le premier à inaugurer la  rencontre  d’autrui. Je  cite Levinas : « L’autre me paraît comme celui à l’égard de qui j’ai une responsabilité. » Il va sans dire que le visage de Caïd Haddou est une forme d’altérité selon laquelle autrui doit assumer sa responsabilité. Il est donc un visage qui dévisage autrui et l’expose à sa nudité. Vous n’êtes pas prêts à négocier. Notre souplesse vous démasque, lit-on sur le visage  d’un messager guidé  par les directives de l’Emir. Caïd Haddou résume comme l’indique Levinas le caractère contradictoire du visage. «  Il est toute faiblesse  et toute autorité. »Mais  cette autorité émane  d’une morale, celle d’aimer la vie. «  Tu ne tueras point. »

Notes (1)   L’exilé de Mogador Roman Dr Mhamed Lachkar Editions Slaiki Akhawayne 2021  (2)   Ibid. Page 152 (3)   Ibid. Page 53