Penser la sécularisation


Je voudrais  tout d’abord remercier le collectif  Vivre ensemble qui m’a  offert cette chance de dialoguer avec le pens...
Abdelmajid BAROUDI

Je voudrais  tout d’abord remercier le collectif  Vivre ensemble qui m’a  offert cette chance de dialoguer avec le penseur Abdou Filai-,Ansary.  Beaucoup  d’idées ont  résonné en moi, en observant cet intellectuel ,construire  son argumentaire  sur   des questions relatives  au fondement de la sécularisation dans la pensée islamique. Dans le même temps, j’ai eu une pensée  à l’islamologue Ahmed Benani qui nous a éclaire-és par ses réflexions autour de  « L’imaginaire collectif confronté à l’histoire mythologisée, les violences religieuses et la sécularisation », tout  en insistant sur  la notion de laïcité et  sa mise  en  œuvre qui diffère d’un contexte à l’autre.  Je cite : «  A la suite du mouvement des Lumières et bien entendu de manière non-linéaire, les Etats occidentaux modernes se sont institués en séparant la sphère religieuse de la sphère politique. Cette séparation a pris des formes différentes selon les cas, en fonction de chaque histoire particulière ». (1) La rencontre  avec Abdou Filali- Ansary était pour moi une occasion de rendre hommage  à mon ami Ahmed Benanii* car  le thème choisi par ce collectif    qu’est la sécularisation  était toujours l’un des thèmes  qu’il n’arrêtait pas de piocher  jusqu’aux  derniers jours de sa vie.

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Il m’est difficile de revenir sur la richesse  des références  qu’Abdou Filali- Ansary évoque pour  répondre à la question des ouvertures  justifiant ou légitimant la sécularisation dans la pensée islamique. Car la rigueur  scientifique veut  que l’on consulte toute cette bibliographie  qu’il nous propose  afin qu’on soit à jour  pour  une  confrontation intellectuelle. Une chose est sûre, c’est que  Abdou Filali- Ansary ne revient pas  sur la redéfinition de la sécularisation parce qu’il suppose qu’on a  déjà  accumulé un savoir par rapport à cette notion. Il nous suffit  donc de  la contextualiser   et   examiner la relativité de  sa mise œuvre intellectuelle par des penseurs musulmans sans tomber bien sûr  dans la réduction et le catégorique  qui renoncent   à la différence d’ Autrui et s’engouffrent dans une identité renfermée, sous prétexte que la non existence  institutionnelle  d’une structure  religieuse dans le monde musulman,  similaire à l’Eglise, entrave le processus  de  sécularisation. D’où l’inutilité d’en parler.

Il me semble qu’une consultation de son ouvrage : L’islam est –il hostile à la laïcité(2) ? s’impose, dans la mesure où son éclairage de  la notion de sécularisation  dépasse  le sens pédagogique  pour une problèmatisation dont la portée théorique  n’est toujours pas compatible avec  une réalité qui à son tour  ne s’identifie pas forcement à nos attentes. Autrement dit, le processus de sécularisation n’aboutit pas automatiquement à une coupure radicale selon laquelle  le recul du religieux est nettement observable par rapport à la progression du politique et de la société civile. Si ce phénomène n’est pas très significatif  dans les pays musulmans, ce ci ne veut absolument dire que les choses se sont déroulées  en Occident de telle manière à ce que l’Etat  s’est  définitivement emparé  du social et que les institutions religieuses ont, en  revanche, tout cédé. C’est dans ce sens que Henri Pena-Ruiz nous enseigne sur le décalage  que peut provoquer cette notion entre  le conçu et le vécu. Selon lui, de point de vue étymologique : « la sécularisation signifie le transfert  à des autorités profanes (inscrites dans le siècle) de fonctions au par avant assumées  par les autorités religieuses.»(3)

Force donc est de constater théoriquement que  la sécularisation  est un transfert de fonctions que les autorités religieuses  accomplissaient, aux institutions civiles. S’agit-il d’une réelle coupure ? La réponse  est que ce transfert représenté par la sécularisation ne constitue pas une rupture définitive, dans la mesure où l’implication de l’autorité religieuse dans  le social était toujours de mise.

Le   processus  de sécularisation s’est fait dans la douleur,  et   la  séparation de l’Eglise et de  l’Etat en était l’origine (4). D’autant que cette séparation telle qu’elle  était effectuée en Europe, diffère d’un contexte à l’autre.

Qu’est ce qu’on peut  retenir  de l’analyse qu’Abdou Filali-Ansary a  livrée  à propos de l’ouverture  de la pensée islamique sur la sécularisation ?

Face à la ténacité du dogme dont la vérité  renonce au traitement historique et s'arc-boute  sur l’imaginaire social, sous prétexte qu’il n’est pas possible  d’opérer la distinction entre l’islam  normatif et l’islam historique, une mise à jour  réformatrice qui tente « d’extraire le message religieux  du carcan où les sociétés  médiévales l’on enfermé et des formules d’autres fois lui ont donné »(5), est possible. Toutefois, la variable historique qu’exigent la modernité et l’acculturation engendrée par le partage des valeurs de subjectivation et que les sciences humaines ont déployées, a stimulé  la mise en question du dogme. Il s’en suit que  la sécularisation est en marche  puisque  cette variable historique qui l’alimente invente sa vulgate  et rompt avec une vision du monde où l’Humain est privé de sa liberté d’être  maître de son devenir. Ainsi le choix  de la cohérence,  la possibilité du discours et  du dialogue se présente comme alternative  non violente et raisonnée à un autre discours  prétendant venger l’idéal blessé, pour reprendre Fethi Benslama, lequel idéal croit  en la nécessité de  prôner la violence nue. Au demeurant, il n’y a que la raison qui peut vaincre la violence par la critique. Et c’est à la philosophie d’établir  la vérité  de l’ici-bas car c’est elle   comme  le  souligne  Eric Weil-«  au service de l’histoire »(6)- qui doit transformer la critique du ciel en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la  politique.

Abdelmajid BAROUDI

Notes

*Ahmed Benani, politologue et anthropologue des religions Maroco-Suisse

1-    Intervention D’Ahmed Benani à Beyrouth- BRIC 5-6 Novembre 2013

2-    Abdou Filali-Ansary

L’islam est-il hostile à la laïcité ?

Essai

3-Henri Pena-Ruiz

Qu’est ce que la laïcité ?

Page : 245

4-L’islam est-il hostile à la laïcité ?

Page : 20

5- L’islam est-il hostile à la laïcité ?

Page : 122

6-Eric Weil

Essais et conférences

Tome II

Politique

Page : 27