De la participation à la participation citoyenne


Je voudrais, de prime abord signaler que cette communication a pour objectif de stimuler la réflexion sur la notion de ...
Abdelmajid BAROUDI

Je voudrais, de prime abord signaler que cette communication a pour objectif de stimuler la réflexion sur la notion de participation. D’autant plus que la portée je dirais philosophique de la participation telle qu’elle est développée dans les œuvres philosophiques enrichit davantage notre vision du rôle citoyen que le mouvement associatif assigne à sa contribution dans le développement démocratique en vue de l’établissement de c e qu’on peut appeler communément la justice sociale. Ce ci étant dit, l’aspect juridique ne peut que consolider l’apport théorique du moment où la clarification de la notion est souhaitable, car elle nous aide à passer de la représentation à la conceptualisation d’une part , et la cohérence dans laquelle cette notion doit être perçue dès qu’il s’agit des rôles que les participants doivent assumer afin de préciser les devoirs et les droits de chaque partie .

Je tiens également à mentionner que ma modeste contribution par rapport à la notion de participation se focalise essentiellement sur l’apport du philosophe grec qui n’est autre qu’Aristote, et les concepts qu’il a véhiculés dans son livre : Politique. On peut se demander pour quoi ce choix ? la réponse est simple : il me semble qu’Aristote est considéré comme l’un des philosophes politiques qui a élaboré par le biais de son œuvre un projet de la cité loin d’une utopie que Platon voulait instaurer en attribuant à sa république un sens, je dirais idéal. On outre, une grande partie de philosophes politiques modernes ou des lumières ont capitalisé sur ce qu’Aristote a développé. Je cite à titre d’exemple Spinoza, ce dernier en parlant de la fonction de l’Etat, il n’a fait que reproduire la nature des régimes politiques tels qu’ils sont énumérés par Aristote.

Que signifie Participation ? Commençons d’abord par consulter son sens dans le lexique et posons après des questions sur la notion de participation.

Que dit la rousse ? Ce dictionnaire définit la participation, entre autres, par association des citoyens au pouvoir. Que peut –on déduire de cette signification ? Ce ci veut dire à mon sens que la participation est une implication dans la gestion de la cité puisqu’il s’agit d’une association du citoyen au pouvoir. La participation revêt donc un aspect citoyen. Autrement dit, la participation est citoyenne dans la mesure où le citoyen est acteur participant à la gestion de la cité. Dans ce cas précis, la participation, compte tenu de l’action selon laquelle l’acteur associatif est perçu, est citoyenne. A mon avis, l’élément le plus déterminant pour l’implication de l’acteur associatif par la participation, c’est de la qualifier de citoyenne. Qu’entendons-nous par participation citoyenne ?

Pierre André, Professeur à l’université de Montréal nous propose la définition suivante de la participation citoyenne : « La participation citoyenne peut se définir comme un processus d’engagement obligatoire ou volontaire de personnes ordinaires, agissant seules ou au sein d’une organisation, en vue d’influer sur une décision portant sur des choix significatifs qui toucheront leur communauté. Cette participation peut avoir lieu ou non dans un cadre institutionnalisé et être organisée sous l’initiative des membres de la société civile (recours collectif, manifestation, comités de citoyens) ou des décideurs (référendum, commission parlementaire, médiation).

Force donc est de constater que la participation citoyenne est une implication sous forme d’engagement d’acteurEs en vue d’influer sur une décision et que cette participation ne peut être qu’organisée dont l’expression est institutionnalisée.

Si la participation est, en quelque sorte, une implication citoyenne qui vise un « ‘intérêt général de la cité tout entière et le bien commun des citoyens.» pour reprendre Aristote, on doit se poser la question sur la notion de cité et citoyen et la corrélation qui peut exister entres elles, dans le but d’élucider le rôle participatif du citoyen dans la gestion de la cité. Quel citoyen pour qu’elle cité ?

La réponse nous parvient du livre politique d’Aristote qui recadre cette articulation du champ qu’est la cité et l’action du citoyen dans ce qu’on appelle la constitution. Car et le statut et le rôle du citoyen varient selon la constitution laquelle est en général selon Aristote « une certaine organisation des habitants de la cité ». Toutes fois, la notion du citoyen fait l’objet de controverse selon la nature du régime politique. Aristote écrit, je cite : « la notion de citoyen prête souvent à contestation, car on n’est pas d’accord pour considérer comme citoyen le même individu tel qu’il est citoyen dans une démocratie, souvent n’est pas citoyen dans une oligarchie. » Le propos est clair. Seul celui qui vit dans un régime démocratique est perçu comme citoyen. Le fait d’être citoyen est une condition sine quanone pour la participation à la gestion de la cité où règne un régime démocratique, pour être plus précis. Il s’avère que la corrélation ou l’articulation de la cité avec le citoyen est d’odre démocratique, si j’ose dire. Comment la constitution régit-elle cette articulation ? Aristote, vue sa formation logique conditionne la définition de la constitution par une formule formelle selon laquelle la déduction du statut du citoyen varie selon la nature de la constitution. « Nous voyons que les constituions diffèrent spécifiquement les unes des autres et que les unes sont postérieures, les autres antérieures, celles qui sont défectueuses et déviées étant nécessairement postérieures à celles qui sont sans défaut. Par conséquent, le citoyen lui aussi est nécessairement différent suivant chaque constitution. C’est pourquoi le citoyen dont nous avons parlé existe surtout dans une démocratie, dans les autres régimes, on peut le trouver mais pas nécessairement. » Il s’avère au final que la corrélation entre la cité et le citoyen est nécessairement démocratique afin que le citoyen assume son devoir de participation. D’où la pertinence de se questionner sur le genre de participation citoyenne telle qu’elle est entreprise par Aristote, tout en sachant comme on l’a montré que la nature du citoyen varie selon le cadre institutionnel qui régit cette participation citoyenne.

Avant d’explorer cette piste qui nous conduit à la nature de cette participation, il me semble qu’il est nécessaire de nous arrêter un moment sur cette notion de citoyen en vue de dégager son portrait et voir la compatibilité de son profil avec sa mission de participation. Outre, la corrélation qui existe entre la citoyenneté et le régime démocratique, Aristote assigne au citoyen des caractères dont la liberté est considérée comme norme je dirais nécessaire pour un citoyen. C’est un point qui a fait l’objet d’une distanciation par rapport à la conception Aristotélicienne de la citoyenneté. Pourquoi d’après Aristote le citoyen doit-être libre ? La pertinence de cette question nous permet de dégager la rationalité de la notion du citoyen et nous aide à élucider sa fonction, ou pour parler un langage moderne sa participation citoyenne. Allons un peu dans la logique Aristotélicienne qui consiste à dire que les choses se définissent par ses contraires. Du coup, la liberté convoque l’esclavage. Reformulons cette opposition par une forme interrogative : Pourquoi l’esclave n’a t-il pas le droit de participer à la gestion de la cité ? Une des explications apportées à cette ségrégation inhumaine, pour reprendre notre lexique contemporain allant dans l’esprit formel et logique qui guide la vision Aristotélicienne, c’est celle de Léo Strauss. Ce penseur, après avoir distingué entre la démocratie de la cité et celle qui présuppose la distinction entre l’Etat et la société, c’est-à-dire la démocratie moderne, en expliquant le statut du citoyen libre, sous-entend le pourquoi de la non-participation de l’esclave à l’administration politique des affaires de la cité. Voici ce qu’avance Léo Strauss dans son ouvrage : L’homme et la cité : « l’homme libre se distingue de l’esclave par le fait qu’il vit à sa guise…. L’homme libre refuse de recevoir des ordres de quiconque ou d’être soumis à quiconque. Mais dans la mesure où le gouvernement est nécessaire, l’homme libre exige de n’être soumis à personne qui ne lui soit à son tour soumis : il faut que chacun puisse accéder également aux magistratures, simplement parce qu’il est un homme libre. » Cet extrait nous permet de clore la parenthèse au risque de sombrer dans un débat qui ne favorise que la projection, à savoir la condamnation d’un paradigme qui date du quatrième siècle avant Jésus-Christ tout en se servant d'aprioris propres à notre époque. Autrement dit, ce texte nous facilite l’accès aux modalités de la participation politique du citoyen que lui attribue Aristote, notamment à la délibération de la chose publique par le biais de la magistrature. En d’autre termes modernes, quelle participation citoyenne ? L’homme est un animal politique. Cette identité dont la substance ou le sujet est perçu comme acteur muni d’un savoir faire lui permettant non seulement de participer mais aussi de décider du sort de la cité conformément à la vertu. Ce statut signifie selon Christian Delacampagne que « l’homme ne peut réaliser sa vraie nature que dans le cadre de la polis, c’est-à-dire d’un espace voué par définition, à la discussion entre hommes libres. » Il s’ensuit que la participation au delà du faite qu’elle émane d’une liberté contraire à la soumission qui écorne la notion de citoyenneté, son mode de fonctionnement est régi par la constitution dans laquelle, ce même citoyen se trouve privé d’une liberté naturelle animée par la violence qui enfin de compte nuit à la raison de la cité. C’est dans cette optique qu’Aristote décline les contours de la participation, voire la décision à l’aide de ce qu’on appelle actuellement la bonne gouvernance.

« Un citoyen est en général ce lui qui tour à tour gouverne et est gouverné, mais sa condition varie suivant chaque régime politique et dans le meilleur de tous, ‘est celui qui est capable et qui choisit délibérément d’être gouverné et de gouverner en vue d’une vie conforme à la vertu.» D’où la question : Dans quel régime politique le citoyen est –il libre, prêt à participer, et gouverner tour à tour ? Notre idéal légitime dont la réalité se présente comme un dysfonctionnement du système politique qui se répercute sur la société, ne peut être que d’accord avec le régime politique qui vise l’intérêt général institutionnellement approuvé par le régime démocratique. Et c’est là où la leçon grecque enseignée par Aristote peut nous servir de fiche de route où se croisent le politique et l’Humain, c’est à dire les normes et les principes qui guident notre participation citoyenne et le système politique désintéressé , pour reprendre Luc Ferry. Autrement dit , pour reformuler ce croisement politique et éthique de la participation : il faut que la volonté du bien commun qu’illustre la participation citoyenne par son autonomie, sa liberté trouve son écho dans un régime politique démocratique. Il me semble que la corrélation de la démocratie avec la participation, mérite un arrêt aussi éphémère soit-il dans le but d’allier la participation à ce régime politique d’une part, et de dégager les bienfaits de la démocratie entant que facilitateur de participation citoyenne, au-delà de ce qu’on a déjà évoqué par rapport à la décision du citoyen dans la gestion de la cité. On peut contextualiser la tonalité sélective d’Aristote en lui reprochant de ne pas inclure l’esclave et la femme dans sa configuration démocratique, si je puis dire. Mais ce ci n’enlève en rien de sa ténacité à percevoir le régime démocratique comme mode de gestion politique favorisant la participation citoyenne dan s son sens large, dans la mesure où le pouvoir doit émaner du peule : Démos. Ce qui veut dire comme l’explique Francis Wolff, « le pouvoir de la populace sur l’élite ». Qui de plus est, ce régime, de par le fait qu’il est l’émanation d’une participation citoyenne caractérisée par le partage de la décision et de la délibération, est, je cite Francis Wolff, « le plus socialement confortable et équilibré, le moins aventureux. C’est le seul à permettre l’alternance réelle des charges entre citoyens. » Il va sans dire que ce mécanisme de gestion politique qu’est la démocratie favorise la participation non seulement politique mais aussi tout ce qui en découle grâce à l’alternance dans son sens horizontal et vertical. Qui dit alternance, dit entre autres égalité ou justice. N’on-t-on pas déclaré auparavant que la participation telle qu’on la conçoit vise la justice sociale ? La question qui, à mes yeux mérite d’être posée : Quelle relation entre la justice et la participation ? Du moment où on s‘est mis d’accord que le seul cadre juridique et politique qui règle nos actions participatives, est celui de la démocratie, la question de la justice et de l’égalité surgisse. Car, comme le souligne pertinemment Aristote : « Ce qui est juste doit s’entendre comme conforme à l’égalité et ce qui est juste conformément à l’égalité doit viser l’intérêt général de la cité tout entière et le bien commun des citoyens.» Autrement dit, toute participation démunie de principes d’égalité dont le droit est dénominateur commun avec la justice, n’a pas pour intention de viser l’intérêt général avec tout ce que comporte ce mot de général. Si non, la participation devient un leurre qui donne l’impression que tout le monde participe, mais est ce que vraiment cette participation est d’ordre naturelle au raisonnable selon laquelle la personne est libre et détachée de ses inclinations au sens Kantien du terme.

Au final, le besoin d’une réécriture du contrat social dont les clauses doivent assigner à la participation les connotations que nous avons précitées, nous oblige à accompagner Jean Jaques Rousseau dans sa randonné, je veux dire son passage de l’Etat de nature à l’Etat civil, lequel passage produit « dans l’Homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’Homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. »

Bibliographie

• Politique Aristote, texte établi et traduit par Jean Aubonnet

• Aristote et la politique Francis Wolff

• La philosophie politique aujourd’hui Christian Delacampagne

• La cité et l’Homme Léo Strauss

• Du contrat social Rousseau