Conte de Noël 2022


la contrée des troubadours
Quand ce jour-là le troubadour découvrit une belle contrée le long d’un chemin perdu parmi s...
Mustapha Kharmoudi

la contrée des troubadours Quand ce jour-là le troubadour découvrit une belle contrée le long d’un chemin perdu parmi ses chemins d’errance, il sut du premier regard que c’était cette même contrée qui lui apparaissait souvent dans ses songes. Quand ce jour-là le troubadour découvrit une belle contrée le long d’un chemin perdu parmi ses chemins d’errance, les gens de la contrée s’en réjouirent, car cela faisait longtemps qu’aucun troubadour ne leur avait plus rapporté d’histoire des contrées les plus lointaines. Quand ce jour-là le troubadour découvrit une belle contrée le long d’un chemin perdu parmi ses chemins d’errance, il se hâta de demander l’hospitalité aux gens de la contrée, tant il était heureux d’avoir enfin trouvé la contrée de ses songes. Quand ce jour-là le troubadour découvrit une belle contrée le long d’un chemin perdu parmi ses chemins d’errance, les gens de la contrée se hâtèrent de lui ac­corder le meilleur des accueils qu’ils réservaient aux plus respectés de leurs hôtes. Et tout le long temps que le troubadour vivait parmi eux, les gens de la contrée le comblaient des besoins qui manquaient à un homme errant, tant les gens de la contrée le savaient ne savoir ni labourer ni semer ni moissonner, ni rien faire de ces choses nécessaires à la vie d’un homme. Et tout le long temps que le troubadour vivait parmi eux, lui aussi il les comblait des besoins qui manquaient aux gens de la contrée, tant le troubadour les savait ne savoir ni errer par les chemins perdus ni glaner des histoires ni les raconter, ni rien faire de ces choses qui sont nécessaires à la vie d’un homme. Et de saison en saison à vivre dans la contrée de ses songes, le troubadour per­dait peu à peu l’habitude d’errer à travers des contrées perdues dans le lointain. Et de saison en saison à vivre dans la contrée de ses songes, il prenait peu à peu l’habitude d’y vivre sans plus ressentir le besoin de toujours errer. Et de saison en saison à vivre dans la contrée de ses songes, les gens de la contrée s’habituaient peu à peu à sa présence, comme si toujours il avait été par­mi eux. Et comme il revient toujours au temps de bien marquer son passage dans la vie des hommes, voici que vint le temps où le troubadour se rendit compte qu’il ne lui restait plus aucune histoire à raconter aux gens de la contrée. Et comme il revient toujours au temps de bien marquer son passage dans la vie des hommes, voici que vint le temps où il prit conscience qu’il avait trop long­temps vécu dans cette contrée, au point d’avoir vidé toute sa besace d’histoires glanées tout au long de ses longues errances de troubadour. Et comme il revient toujours au temps de bien marquer son passage dans la vie des hommes, voici que vint le temps où il se sentit devenir vieux, comme il convient à tout homme de devenir vieux, pour avoir longtemps vécu tel que lui-même il avait longtemps vécu. Et comme il revient toujours au temps de bien marquer son passage dans la vie des hommes, voici que vint le temps où germa en lui le besoin d’à nouveau confier à ses pas le soin de le mener vers cette fameuse contrée lointaine dont on disait qu’elle n’était habitée que de troubadours. Et quand ce fut à nouveau le soir de la veillée des veillées, ce soir-là les gens de la contrée se rassemblèrent comme à leur habitude autour d’un feu nourri et sous le plus beau des clairs de lune. Et quand ce fut à nouveau le soir de la veillée des veillées, ce soir-là les gens étaient impatients d’écouter le troubadour leur raconter une nouvelle histoire, comme il était de coutume qu’il leur racontât à chaque veillée une histoire qu’ils n’avaient pas encore entendue. Et quand ce fut à nouveau le soir de la veillée des veillées, ce soir-là ce fut d’abord aux musiciens chanteurs et danseurs d’enchanter la veillée des gens de la contrée jusque tard dans la soirée. Et quand ce fut à nouveau le soir de la veillée des veillées, ce soir-là au mo­ment où la lune commençait à décliner pour rejoindre son refuge, vint enfin le tour du troubadour de raconter une nouvelle histoire pour le plus grand bonheur de tous, grands et petits. Et maintenant que le troubadour se tenait debout, les gens de la contrée, grands et petits, tous tour­nèrent le regard vers lui. Et maintenant que le troubadour se tenait debout, les gens de la contrée, grands et petits, tous virent que son regard avait l’air plus sombre que jamais ils n’eurent à le voir aussi sombre. Et maintenant que le troubadour se tenait debout, les gens de la contrée, grands et petits, tous pensèrent qu’il s’apprêtait à leur raconter une histoire encore plus éprouvante, afin que chacun et chacune garde en mémoire que depuis que l’homme est homme, la vie de l’homme est semée tout le long de sa vie d’épreuves et de peines. Et maintenant que le troubadour se tenait debout, il balaya l’assemblée de son re­gard le plus attentif afin que rien de cette soirée ne pût un jour échapper à son souvenir. Et maintenant que le troubadour se tenait debout, il contempla avec émotion le feu de camp qui se reflétait fébrilement dans les yeux de chacun et de chacune. Et maintenant que le troubadour se tenait debout, il pensa que le moment était enfin venu de leur annoncer son prochain départ vers la contrée des troubadours. Et à la pensée qu’il s’apprêtait à les quitter pour toujours, le troubadour observa d’abord les jeunes garçons et filles qu’il n’avait pas eu le temps de mieux connaître à cause de leurs jeunes âges. Et à la pensée qu’il s’apprêtait à les quitter pour toujours, d’âge en âge il scruta tous ces regards accrochés au sien, comme on s’accrocherait à un sauveur. Et à la pensée qu’il s’apprêtait à les quitter pour toujours, il repensa à la bien­veillance de ces gens qui l’avaient accueilli si chaleureusement dans leur contrée, au point d’en avoir fait un des leurs, et non des moindres. Et de savoir que plus jamais il ne les reverrait, le troubadour prit tout son temps pour remercier en son for intérieur chacune et chacun d’avoir toujours été de bonne attention envers lui, durant ces longues et paisibles années passées dans leur douce contrée. Et de savoir que plus jamais il ne les reverrait, il finit par lever les yeux au loin, pour prendre la lune à témoin de son ultime soirée dans cette contrée qui fut jadis l’unique contrée de ses songes. Et comme il lui fallait à la fin annoncer l’adieu, puisque tout adieu se doit de tou­jours être à la fin annoncé, le troubadour parla d’une voix qui se fit soudain si lointaine. Et comme il lui fallait à la fin annoncer l’adieu, puisque tout adieu se doit de tou­jours être à la fin annoncé, il déclara de sa voix lointaine : – Adorable assemblée, j’ai un adieu à vous annoncer ! Et comme il lui fallait à la fin annoncer l’adieu, puisque tout adieu se doit de tou­jours être à la fin annoncé, il poursuivit de la même voix lointaine : – Voici que bientôt il me faudra m’en aller errer jusque dans la contrée des troubadours. Et comme tout adieu est aussi dur à recevoir qu’à donner, les gens de la contrée s’étonnèrent d’une telle annonce à laquelle ils ne s’attendaient guère. Et comme tout adieu est aussi dur à recevoir qu’à donner, les gens de la contrée s’en affligèrent. Et comme tout adieu est aussi dur à recevoir qu’à donner, le troubadour vit de sombres nuages envahir tous les visages, tant les gens de la contrée n’avaient nulle envie de le voir partir. Et comme il est normal de chercher d’abord à repousser tout adieu, voici qu’une petite fille lui lança : – Oh troubadour, est-ce que tu ne nous aimes plus ? Et comme il est normal de chercher d’abord à repousser tout adieu, voici qu’un petit garçon poursuivit : – Oh troubadour, qui va donc nous raconter de si belles histoires ? Et comme il est normal de chercher d’abord à repousser tout adieu, voici qu’un jeune homme se lamenta : – Oh troubadour, qui en ton absence saura offrir aux amoureux des rimes invisibles que le vent emporte et que seuls les troubadours savent attraper au vol ? Et comme il est normal de chercher d’abord à repousser tout adieu, voici qu’une belle femme se plaignit : – Oh troubadour, est-ce que quelqu’un d’autre te manque au point de vouloir nous abandonner pour aller auprès de lui ? Et comme il est normal de chercher d’abord à repousser tout adieu, voici qu’un vieil homme l’interrogea : – Oh troubadour, est-ce que l’un de nous t’aurait offen­sé ? Et comme il est normal de chercher d’abord à repousser tout adieu, voici qu’une vieille femme s’inquiéta : – Oh troubadour, est-ce que notre accueil n’est plus comme tu l’as toujours désiré ? Et afin que nul malentendu ne restât en suspens, le troubadour leur fit cette ré­ponse des plus sincères: – Oh rassurez-vous, aucune mauvaise pensée n’a jamais traversé mes esprits ! Et afin que nul malentendu ne restât en suspens, tous s’exclamèrent : – Alors pourquoi partir ? Et afin que nul malentendu ne restât en suspens, le troubadour répliqua: – Nul moment n’est opportun pour partir, et tout moment est opportun pour partir ! Et afin que nul malentendu ne restât en suspens, une jeune femme se leva et dit : – Quand est-ce que tu reviendras alors ? Et afin que nul malentendu ne restât en suspens, le troubadour répondit : – Nul voyageur ne sait quand il reviendra, ni même s’il reviendra un jour ! Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, un jeune homme protesta : – Oh troubadour, comment peux-tu m’abandonner ain­si ? Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, le troubadour se tut le long d’un long soupir avant de lâcher : – Je ne t’aban­donne pas, tu continueras à vivre dans mes souvenirs comme du temps où je t’ap­prenais à marcher, t’en souviens-tu ? . Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, une jeune femme se leva et dit : – Oh troubadour, je ne t’ai pas assez connu que déjà tu me quittes ? Et le troubadour répondit : – Je ne te quitte pas, tu continueras à vivre dans mes souvenirs, comme du temps où je te racontais des histoires pour t’endormir, t’en souviens-tu ? Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, un autre jeune homme se leva et s’écria : – Oh troubadour, je n’ai pas eu le loisir d’assez te connaître que déjà je n’aurai plus à te revoir ! Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, le troubadour lui confia : – Tu continueras à vivre dans mes souvenirs, comme du temps où je t’emmenais en voyage loin de la contrée, t’en souviens-tu ? Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, une dame d’un âge avancé se leva à son tour, et fit cette déclaration : – Oh trou­badour, que ne peux-tu attendre que je prenne le temps de m’en aller avec toi ? Et comme il est dans le cœur de l’homme que tout adieu fasse peine en l’homme, le troubadour répondit d’une voix des plus tendres: – Prends tout ton temps, rien ne presse car le moment venu, tu sauras toujours retrouver l’endroit où je serai tou­jours à t’attendre ! Et puisque tout adieu se doit de se conclure par un temps à venir, le troubadour dit d’une voix paisible : – Je m’en vais bientôt, mais parmi les mille et mille sou­venirs que j’ai vécus avec chacune et chacun d’entre vous, j’ai pris tout le temps qu’il m’a été nécessaire pour n’en choisir qu’un seul par personne, le souvenir le plus inoubliable, et qui vaudrait à lui seul bien plus qu’une besace remplie de souvenirs de toute une longue vie ! Et puisque tout adieu se doit de se conclure par un temps à venir, le troubadour conclut d’une voix douce, comme à lui-même : – J’emporte à jamais avec moi tant de souvenirs de vous, et je laisse parmi vous tant de souvenirs de moi ! Mustapha Kharmoudi, le 24 décembre 2022